S'y croire, le temps d'un instant. Penser que même en étant l'autre femme, celle de l'ombre, on est suffisamment importante pour avoir des exclusivités sur certaines choses, sur de nombreuses choses, pour être la plus marquante, meilleure que les anciennes amantes, meilleure que Madame parfois. Souvent d'ailleurs.
Tout est une question de mal-être, de blessures, d'égo. Fréquenter des hommes mariés impliquent d'accepter les règles du jeu : nous ne somme qu'un passe-temps, temporaire, un CDD avec bonus. Le temps qu'il aille mieux, le temps de jouissances, de discussions et de conseils bienveillants sur sa vie avec Madame, le temps que leur couple aille mieux.
Et pourtant même si on le sait, certains amants ne comptent pas. Ils peuvent dire stop, ou nous pouvons arrêter les 5 à 7 du jour au lendemain sans trouble, sans réelle déception. Mais pour d'autres c'est un peu plus compliqué. Sans le vouloir (ou parfois pire, en manipulant), ils nous octroient une place que l'on n'espérait plus. Pas celle de la compagne officielle bien sûr, mais de "maîtresse en chef", la meilleure, celle qui compte le plus, qui évince les autres, qui rend sa vie beaucoup plus belle, qui aime le sexe, la douceur, les câlins, qui a de la culture, de l'intelligence, avec qui on peut rire et débattre. Celle qui illumine sa vie "parce que tu es exceptionnelle".
C'est à coup de plannings chamboulés rien que pour nous, de cadeaux multipliés rien que pour nous, d'attentions permanentes rien que pour nous, de risques pris rien que pour nous, que nous y croyons. Que nous commençons à croire à ce statut d'unique. Comme il est doux d'y croire. De se laisser glisser sur la pente savonneuse qui mène aux abysses.
Puis un jour, on est si importante, si forte de conseils, si prescriptrice envers notre amant qu'il applique les mêmes méthodes de ce bonheur momentané avec Madame. Nous lui donnons des idées innocentes, sans le vouloir, pour arranger son couple. "Tu as une très belle lingerie, je vais acheter le même style à ma femme", "allo je suis dans une librairie, c'est quoi le titre de ton livre érotique déjà ?", "quelle est la marque de ton huile de massage ? Ça me donne des idées", "très bon resto cosy, je vais essayer de l'emmener ici pour un diner à deux", "où tu achètes tes sextoys ? Parce que le petit là, je pourrais essayer de le tester avec elle, ça la motiverait peut-être", "tu sais on a parlé avec ma femme, j'ai utilisé des phrases à toi, merci, ça va beaucoup mieux, du coup je t'avoue que je vais ralentir un peu nos rdv"... Tous les moyens sont bons pour essayer d'améliorer ou recoller les morceaux de la relation avec Madame. Nous ne sommes pas expertes officielles mais finalement nous prouvons que nous savons bien choisir, bien expérimenter, bien conseiller, alors pourquoi ne pas en profiter ? Après tout, avec nous c'est clair depuis le début, il n'y a pas de sentiments, donc pourquoi serions nous vexées ou jalouses qu'il réutilise NOS méthodes qui lui plaisent, avec Madame ?
Nous ne demandons pas la lune pourtant, juste être considérée sans compétition, à part, comme une deuxième Madame, d'être prise pour ce que nous sommes, des femmes douées du sentiment de jalousie même si nous ne sommes pas amoureuses de vous, nous ne demandons pas l'impossible. Quoi que si finalement, peut-être. Et cette période des fêtes où ils sont tous occupés à la maison sans nous, n'arrange pas les choses.
En fait si : cela me vexe, me touche, m'attriste, m'humilie. Mon égo s'en mêle. Je n'ai plus aucune "exclusivité", l'impression de m'être faite utilisée comme une psy ou une sexperte sans avoir fait payer. Quelques uns me diront que c'est idiot de penser comme ça car je dois garder ma place, que je sais à quoi m'attendre avec "ces hommes", que je me laisse atteindre pour rien, d'autres comprendront la notion d'importance que je cherche à avoir par tous les moyens de complicité, de confidences, de tendresse ou de sexe, puisque je ne peux pas être celle que l'on choisit, que l'on aime à la lumière. Femme de l'ombre, sois efficace et tais-toi ? Non pas à ce point là, mais leurs agissements parfois sonnent comme des indélicatesses qui les choquent peu.
J'ai eu de superbes moments, d'autres ne sont pas terminés mais ces pics au coeur sont bien là. Parmi les amants qui m'ont fait me sentir unique, puis qui m'ont vexées, touchées, je peux compter bien évidemment en chef J. 40 ans pour sa séduction intensive lâchement abandonnée sans y mettre ni forme ni préavis, R. 32 ans pour cette illusion que j'aurais peut-être un jour pu être CELLE sans me l'avoir jamais promis à voix haute bien évidemment, P. 38 ans pour avoir agit maladroitement en essayant d'appliquer mes bonnes recettes à Madame, E. 38 ans pour ce manque de franchise et de courage envers moi après avoir trompé Madame et m'avoir laissé dans l'illusion d'autres rendez-vous délicieux à venir, F. 40 ans pour m'avoir répété à quel point c'était extraordinaire avec moi sans pourtant faire l'effort de maintenir une relation "régulière".
D'autres ne sont pas si importants ou ne m'ont pas déçue de ce côté là. Malgré nos différends, C. 40 ans est le parfait exemple de celui qui n'a jamais "abusé" de ce que je lui apportait pour améliorer autre chose que sa propre vie ou notre relation. Ni Madame ni autre amante n'étaient en jeu, pas de compétition. Mais à l'époque il était amoureux de moi, c'est peut-être là toute la différence et ma place.
Aujourd'hui je crois encore plus fermement que l'on ne peut pas être maîtresse d'hommes mariés sans avoir de blessures à tenter de combler, sans une estime de soi qui balance entre le potentiel d'être le meilleur souvenir et l'envie impossible d'être l'unique. Unique. Unique... Dans notre cas, cela n'existe pas malgré le podium sur lequel on peut nous placer, malgré les très rares envies que j'ai d'être en vrai couple avec mes amants et de remplacer officiellement Madame. Je ne l'ai voulu qu'une fois sur l'ensemble de toutes mes aventures. Et pourtant, garder l'illusion qu'on pourrait tout basculer, être cette fameuse femme si exceptionnelle qu'ils semblent nous décrire au point de bouleverser leur monde. Ce fantasme féminin par excellence.
Se sentir unique, là où Madame l'est sans parfois le savoir.
Se sentir choisie sûrement.
Se sentir aimée probablement.
Comme une femme normale. Une femme de la lumière je pense.