C'est un homme que je n'avais encore jamais rencontré, un homme charmé par mes mots au hasard d'une navigation de page en page sur Internet, un homme qui m'avait trouvée suffisamment sincère pour s'intéresser à moi. Un homme qui me racontait des bribes d'histoires, qui s'étonna de plusieurs vérités que je couchais sur mes textes sans fioritures érotico-simulées, qui osa me confier des bouts de son histoire de mari infidèle, qui souriait de quelques souvenirs ou grimaçait pour d'autres, qui répondait à mes questions indiscrètes. Un homme qui voulait me voir, m'entendre, me rencontrer. Concrétiser une idée, une illusion, un fantasme peut-être.
Cet homme était assez déroutant dans ses mails, je ne savais pas trop quoi en penser. Parfois insistant, très présent, peut-être trop, j'avoue qu'il m'a fait peur à un moment. A effrayé la femme que je suis, devenue échaudée malgré moi. Cette méfiance installée au fil des déceptions de ces derniers temps par des menteurs, des lâches, des paumés. Cet homme a insisté pour ce créneau d'une heure entre deux agendas chargés, pour éviter de reporter son envie de mes mots, de me voir, de poser un visage, un corps, un décolleté, une voix, un sourire, un regard, d'une réflexion à deux autour d'un café dans un bar vide.
Il est arrivé avant moi, en retard comme à mon habitude même avec la volonté de bien faire. Cet intérêt soudain pour mes derniers messages, mes dernières déceptions, cette nouvelle prudence qu'il notait dans mes textes, dans mes tweets, était déroutante dès les premières minutes. Je me suis sentie comme une jeune fille inexpérimentée à un premier rendez-vous, ne sachant pas où regarder. Cette table était trop haute, ce tabouret était trop haut aussi, ce jean trop serré, j'avais du mal à croiser les jambes, j'avais peur de le frôler avec mes talons. Je ne savais pas quoi faire de mes mains, quel sujet aborder, comment commencer. C'est étrange, je n'ai jamais eu ce problème, ou que très rarement aussi loin que je m'en souvienne. Aborder les gens n'a jamais été un problème. Mais je faisais face à une nouvelle situation un peu inconnue... Je ne savais pas pourquoi j'étais là. Tout simplement. J'avais dit oui à son insistance de me rencontrer, sans le vouloir comme amant, ni forcément comme "interviewé". Alors pourquoi se rencontrer ? Je crois que je me suis totalement laissé guider sans vraiment réfléchir, pensant que j'improviserais. S'en est-il rendu compte ? A t'il vu mon regard fuyant, cassant l'image de la femme assurée, de la maîtresse au comble des rencontres sensuelles, de la tourneuse de mots que je suis sur une page ?
Au bout de quelques minutes, ce livre sorti de nulle part. Un livre tendu et offert, comme ça, naïvement, gratuitement, simplement. Le temps d'un échange me mettant encore plus mal à l'aise. Ne vous méprenez pas, j'adore les livres, surprises ou les cadeaux, peu importe leur taille, prix, raison. Mais j'ai toujours du mal à accepter que l'on m'offre quelque chose sans me sentir ce besoin de devoir le rendre en retour, comme une impression de ne pas vraiment mériter peut-être. Un compliment sincère, un sentiment, un cadeau concret, une surprise organisée, une parole douce subite. Comme pour cacher ce trouble, je me mis à lire la 4e de couv, ce résumé de quelques lignes, pendant un instant qui me sembla interminable avec le recul. Comment montrer à un inconnu que j'apprécie énormément le geste à un point qu'il n'imagine même pas, sans lui sauter au cou ou paraître trop détachée ? J'ai donc lu sans lire ces quelques lignes. Ce titre "Nu Intérieur" de Belinda Cannone. L'histoire d'un homme amoureux de deux femmes. L'Une, l'officielle avec qui il se nourrit d'esprit et l'Autre, celle dont il n'arrive plus à se passer, cette folie passionnée et parfois destructrice, cette célibataire amoureuse. Ce livre est le point de vu d'un homme, mais l'écrivaine est une femme. Ce livre est un roman mais sonne comme une confession. Peut-être un bout de son histoire ou genre de... Il ne m'a pas vraiment expliqué pourquoi il me l'a offert, spécialement ce livre, et je n'ai pas demandé plus que ça. Je l'ai reposé sur la table au bout de quelques secondes, remerciant mon inconnu de cette attention inattendue et pourtant si simple et si délicieuse.
S'enchaîna des questions de ma part. Un maladroit "Alors, que faisons nous là ?" que je ne reviens pas encore d'avoir sorti de ma bouche, balayé rapidement par des questions sur son expérience, sa vie d'infidèle. Comment ça a commencé, ce qui l'a marqué... Il me répondit sans sourciller, comme sur un divan, comme à une confidente, comme une personne qui peut comprendre sans ne rien vraiment cacher, comme une femme a qui il voulait simplement répondre. Peut-être avait-il compris cette défense qu'est la mienne de parler des autres, ce besoin de rentrer dans une première brèche du monde de l'autre avant de parler de moi-même. Ou a t'il voulu simplement me parler, comme deux personnes normales autour d'un café, sans vraiment y réfléchir. Je ne sais pas, je ne veux pas vraiment savoir je crois. Le livre était toujours posé à côté de ma main gauche. Je me surprenais à m'imaginer déjà commencer le lire dans le métro pour rejoindre la soirée qui m'attendait chez des amis ensuite. Puis je l'écoutais. J'ai toujours adoré écouter, essayer de comprendre, faussement analyser à ma sauce à moi, psy de comptoir dirons nous ou simple observatrice de certaines choses de la vie, de celles de mon entourage, de celles que je lis, de celles que je ressens, de celles qui me touchent. Heureux en couple avec une femme qui lui convient, qu'il n'envisage même pas de quitter, qu'il aime, avec qui il fait l'amour souvent, avec qui il a des enfants. Il me parlait de ses premières maîtresses, des professionnelles essentiellement. De ce vide ressenti juste après l'acte , et de ce sentiment presque désagréable puisqu'il n'y avait rien d'autre, ni conversation, ni découverte, ni séduction. D'ailleurs je lisais ses grimaces sur son visage, pas exagérée mais son corps parle pour lui ;-) Il avait juste jouit, s'était "offert" ce pouvoir d'être pendant un instant l'amant de cette bombe, de ce qu'elle dégage. Mais sans y trouver ce réel plaisir qu'il cherchait peut-être dans ces aventures. Il me parla de ces occasions saisies ou non depuis 15 ans avec d'autres. Il me parla de ses motivations, de ses raisons qui n'étaient pas forcément les mêmes que les autres, croit-il innocemment. Qui sont pourtant bien un manque dans sa vie pourtant épanouie, un besoin à assouvir. Pas forcément sexuel, pas forcément intellectuel, mais un attrait dévorant pour la "nouveauté", la "découverte", s'imbiber d'une autre personnalité. Il reconnait lui-même avoir découvert et développé les passions qu'avaient ses dernières amantes marquantes. Me suppliant au passage, si d'aventures l'intérêt poursuivait sa route, sur un ton amusé, de ne pas avoir d'habitudes farfelues qu'il risquerait de copier !
Puis il me parla d'Elle. Elle a été marquante, elle l'est toujours malgré une histoire si belle, si intense, si compliquée qui leur est propre est que je ne détaillerais pas ici par respect pour eux, pour cette intimité si particulière. Ces moments fous, inexplicables, évidents, suspendus... Ces éloignements, un départ, des relances, un mal au coeur, un manque. Elle lui a donné a réfléchir mais surtout, son histoire avec Elle, et les réflexions qu'Elle lui faisaient ont eu un écho à mon histoire. C'est ainsi que j'ai commencé à commenter, à donner mon avis, à passer au-delà des questions, pour rebondir sur des expériences personnelles qu'il avait aussi pu lire sur ce blog. Je ne lui demandais pas d'être d'accord, juste de réaliser, d'essayer de comprendre. Sans la connaître, j'ai pu être d'accord avec certaines demandes de Elle, et à chaque fois que j'entends ce genre d'histoire, je ne peux m'empêcher de partager mon avis à l'homme qui me fait face, comme si je m'investissais d'une mission d’évangélisation. C'est idiot n'est-ce pas ?
Les minutes passaient, le café se vidait dans la tasse, mon verre aussi, l'heure avançait et nous avions chacun des projets pour la suite. Nous n'avons pas parlé de "nous", et j'apprécie sincèrement cette délicatesse non-dite et si fraîche. Même si j'avoue que je serais restée avec plaisir plus longtemps. J'ai entendu son "à très vite peut-être j'espère" ou plus ou moins formulé comme ça, mais je n'ai pas rebondi. Malgré ce bon moment et ces échanges de mots écrits que j'affectionne et qui me déroutent parfois, malgré un sourire saillant que j'ai trouvé particulièrement mutin et craquant, je savais au bout de quelques minutes que cet inconnu ne serait pas mon amant. Sans avoir envie de l'expliquer, de le détailler, de le justifier, ça reste mon choix. Pour une rare fois, je n'ai pas voulu mettre un mot sur cette "relation", cette rencontre, comme mon esprit particulièrement féminin le fait souvent à mon insu. Une bise, deux corps assez proches, et deux chemins séparés sans autres fioritures.
A ce moment là, j'avais passé un bon moment et j'appréciais ça, tout bonnement. Je m'engouffrais dans le métro pour 40 minutes de trajet. Musique douce dans mes oreilles, la meilleure pour me permettre de me concentrer, je m'assis et ouvris "Nu Intérieur". Total 137 pages. J'avoue avoir au moins 6 livres en cours en ce moment, à mon grand regret de ne plus dévorer autant qu'avant, par manque de motivation, de temps, de moments écrins que je me réserve pour la lecture. Une bande d'ado bruyants, une foule palpitante vu l'heure, deux passagers lorgnant sans vergogne sur mon décolleté, un échange avorté rapidement avec un voisin dragueur un peu lourd, un autre échange mais de regards cette fois avec un charmant jeune homme se tenant à la barre... et je me replongeais dans le livre de mon inconnu. Au bout de 5 ou 6 pages un peu trop dithyrambiques à mon goût et un style un brin pompeux pour la mise en place, je me surpris à avoir des lignes qui faisaient écho à mon histoire... Je dévorais, dévorais, dévorais. Cette histoire m'intéressait, me prenait. Le temps aurait du s'arrêter, ne pas m'interrompre. Soirée terminée, je fus presque ravie de reprendre le métro pour en profiter à nouveau. Cette histoire d'amour, cet abandon, cette confession masculine parfois si juste et parfois me donnant envie de répondre à cet infidèle, de lui expliquer les réactions et attentes de sa maîtresse, tout me possédait ! En arrivant chez moi, je mis environ 3 minutes à me changer, me mettre à l'aise, gardant ma playlist dans les oreilles vu la fiesta bruyante de mes voisins, me calant dans le canapé, je continuais de dévorer. Encore, encore.
Arrivée à la dernière page, j'en voulais plus. Un peu déçue par cette fin si facile, je m'étais pourtant demandé tout au long du livre ce qui me décevrait le plus : un happy end ou non. Quelle pirouette allait utiliser l'auteure sinon ? Je dois avouer que finalement la fin est relativement intelligente, même si j'en voulais plus. J'ai désormais compris pourquoi il voulait lire ce bouquin et pourquoi il me l'a offert. S'amouracher, offrir son coeur sans s'en rendre compte, passion et création de manques, au-delà de la raison, à une autre, sans comprendre. Un bout de ce qu'il a peut-être vécu ou ressenti avec Elle. Un bout de ce que j'ai largement ressenti de l'autre côté du miroir quand je suis tombée amoureuse d'un homme marié... et que j'ai eu le coeur brisé...
Et à cet instant, à 2h10 du matin, cet homme, cet inconnu me manquait. Là, comme ça. Je l'aurais voulu à côté de moi pour en discuter, pour commenter, pour enlever mon idée de vouloir surligner de nombreux passages, pour échanger autour de son petit sourire complice, de ses grimaces évincées, de son regard franc. Juste simplement. Lui qui m'avait confié n'en n'être qu'à la moitié du livre quelques heures plus tôt. J'aurais aussi voulu qu'un autre homme le lise. J'ai pensé à Lui en premier, R. 32 ans. Puis à un autre lui, pas (encore ?) un amant mais qui aurait sacrément besoin de lire cette histoire qui fait aussi écho à son expérience et avec qui j'adorerais en parler. Puis à un autre lui aussi, avec qui je parle de tout depuis des semaines, pas (encore ?) mon amant non plus mais avec qui il m'est impossible pour l'instant d'imaginer arrêter d'échanger, de converser, d'imaginer. Un esprit enveloppé d'attentions, d'intentions, avec un vécu lourd également.
Aujourd'hui, un homme m'a offert un livre et un peu de lui. Ce n'est plus vraiment un inconnu finalement. Un infidèle pour son histoire. Un amant pour ses sentiments. Un humain pour sa franchise et ses pensées.
Et j'ai adoré cette journée rien que pour ça. Peu importe demain. Merci mon inconnu.